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LE DECOR

SUGGESTION ET DECREPITUDE

Textes et illustrations de Baptiste Belleudy, scénographe.

Un acteur ne doit pas entrer en scène, mais venir de quelque part : sa posture, l'état de ses habits, sa physionomie même sont imprégnées du lieu qu'il vient de quitter pour venir jusqu'à nous. Pour aider le travail du metteur en scène, j'ai donc voulu représenter ce que le spectateur ne voit pas mais ce que les éléments de décor et, plus important encore, le regard des comédiens suggèrent : la ville de Naples, une cité rongée par le lierre, les ronces et le vice.

Afin de solliciter l’imagination du spectateur tout en offrant à son regard – et aux comédiens – un support visuel inattendu et tangible, il a semblé intéressant de porter un soin particulier au sol, élément premier de tout décor et pourtant, paradoxalement, souvent laissé neutre. Il s’agit pourtant de la première chose qui doit aider le comédien à « croire et faire croire » : ici, les personnages évoluent sur les vestiges d’une société décadente, un monde en ruines. 

Le sol, irrégulier, encore marqué des excès du carnaval, est sombre, volcanique. Ces pavés luisants et sales sont jonchés de confettis et de restes d’agapes. Réalisés en bois et facilement démontable, ces panneaux figurant la pierre permettent également aux pas des comédiens de résonner comme dans une véritable rue, ainsi que des effets de lumière évoquant une cité « pourrissante », où règnent à la fois vice et répression.

L'option choisie est celle de la suggestion afin de mieux faire accepter l'hypothèse d’un rêve animé, en laissant au spectateur le soin de combler le vide par son imagination. 

Les dessins préparatoires et la première maquette du décor montrent un portail rouillé hérissé de pics, qui figure les grilles de la prison séparant Marianne du reste du monde. Comme dans les rêves, les contours sont flous, seuls quelques objets significatifs accrochent notre vue : pour des raisons esthétiques (mais aussi budgétaires), cette grille menaçante devait suffire à suggérer la villa de Claudio et son jardin, entourés de hauts murs. 

 

Cependant, suite à des contraintes matérielles – le démontage quotidien du décor – et après la découverte en fond de scène d’un mur de béton brut percé d’une ouverture, il a été décidé de modifier le concept scénographique de la propriété de Claudio : le mur du théâtre, haut de six mètres, figure désormais celui de la propriété du podestat, une muraille renforcée par des piliers de fer hérissés de pointes. Quant au portail, il est remplacé par une herse, ce qui renforce l’aspect menaçant et défensif du lieu. Il met l’accent sur l’enfermement de Marianne en évoquant un donjon médiéval, voire même la caserne d’un dictateur oriental contemporain. 

Lierre et ronces ont laissé leur empreinte sur la muraille, ainsi que sur les colonnes d'une petite tonnelle à Jardin. Surmontée d'une enseigne aux couleurs passées représentant une grappe de raisin, cette tourelle de verdure est tout ce que nous voyons d'un cabaret napolitain que l'on devine crasseux et mal entretenu. 

 

À Cour, quelques marches de pierre mal dégrossies et une croix métallique dépassant des cintres laissent deviner le parvis d'une église imposante et austère. Stéphane Peyran souhaitait en effet qu’une frontière imaginaire découpe la scène en deux parties symétriques : à Jardin le monde du vice et de la débauche, encore inconnu de Marianne, et à Cour celui de la religion, de la fidélité et de la soumission. 

Le temps d’une scène, nous passerons de la rue à l’ambiance feutrée du salon d’Hermia. 

En effet, un seul changement de lieu survient au cours de la pièce : la tourelle à Jardin pourra donc pivoter, devenant ainsi un baldaquin. Grâce à un habile jeu de lumières concentré à Jardin et plongeant le reste du plateau dans l’obscurité, le spectateur sera transporté des caniveaux napolitains à l’intérieur d’une riche demeure, laissant dans l’ombre le vacarme du carnaval et ses excès – confettis, taches de vins, sacs et ballots dans les coins. 

 

Dans les décors comme dans les accessoires, tout doit être marqué d'une patine particulière : ces objets, comme cette ville, portent l'empreinte d'une activité quotidienne, incessante et nocive : c'est aider le metteur en scène et les comédiens de fournir les bases d'un univers tangible, organique, et qui cependant laisse l'espace vide nécessaire pour solliciter l'imaginaire.

LES COSTUMES 

TEXTURES ET SYMBOLES

Textes et illustrations de Baptiste Belleudy, scénographe.

Marianne

Elle est l'épouse puis la muse, avant d'apparaître enfin femme, ses cheveux blond venitien dénoués, une beauté de la Renaissance qu'aurait peint Botticelli ou Véronèse. Les cordons de sa riche robe de brocard bleu vont se délacer au cours de la pièce, laisant deviner le frémissement d'un caractère sensuel et révolté.

Octave

Son pourpoint écarlate "à l'élisabéthaine" et ses hautes bottes révèlent chez Octave la prestance du cavalier, les multiples losanges d'Arlequin sur son manteau sont autant d'insignes d'une majesté carnavalesque de l'escès, plein de superbe et d'amertume. Il porte un masque de capitan à long nez, les plumes au vent, le maquillage criard.

A la fin de la pièce, il revêtira la veste noire de son ami Coelio, signe d'un renoncement au monde et à ses plaisirs.

Coelio

Sa longue veste sombre évoque les poètes romantiques du XIXe siècle de Musset ou les tableaux de Caspar David Friedrich, et tranche avec les oripeaux colorés des danseurs du carnaval. Tel un fantôme, Coelio flotte dans ses habits comme dans un linceul.

Claudio

Un homme bouffi d'orgueil, au luxe ostentatoire, qui fait violemment étalge de son rang social et de son double pouvoir : politique et conjugal. Le costume de Claudio est de mauvais goût, les tissus riches et lourds, mais évoque un luxe bourgeois qui sent la peur plus que la majesté : le col et les manchettes sont sales, les cheveux luisants, la morale douteuse.

Tibia

Sbire de Claudio, c'est un vampire, un parasite, un vautour qui vit aux crochets de l'opulent Claudio comme une tique. Maigre, habillé d'un étroit pourpoint grisâtre et de chausse trouées, Tibia semble perpetuellement malade, ne parvenant pas comme son maître à masquer la saleté sous le faste.

Hermia

Beauté vieillissante, Hermia a pour chasser la morosité de son fils des couleurs vives et une robe printanière à traîne qui rappelle des temps révolus mais fait preuve d'un savant goût vestimentaire. Sa coiffure, élaborée comme sur les tableaux de la Rennaissance italienne, souligne la régularité de son visage.

Malvolio

Tout chez l'intendant d'Hermia dénote un maintien, une rigueur quotidienne et un peu désuète : de coupe XVIe, son habit brun usé mais boutonné jusqu'au col rappelle autant les puritains protestants que les butlers anglais en retard d'un siècle.

Ciuta

C'est une Parque, une sorcière de Macbeth tout autant qu'une clocharde que la vie a fannée : ses cheveux comme ses vêtements, un assemblage indéfinissable de haillons, ont perdu leur couleur, leur forme, leur temporalité.

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